ATTENDRE ET ESPÉRER
Si nous n’avions pas la certitude, ou l’illusion, d’être libres, si nous n’avions pas, en tout cas, le sentiment d’être libres, que ferions-nous ? Rien du tout. L’homme est libre pour qu’il agisse. Pour qu’il soit Alexandre ou Diogène, Diderot ou Marie Curie. Ou encore, cas plus fréquent, M. Homais, M. Pipelet, M. Prudhomme ou Mme Verdurin. Nous ne vivons pas dans le passé. Nous vivons à peine dans le présent.
Nous vivons dans l’attente et dans l’espérance de l’avenir.
Quand il n’y a plus d’avenir et qu’il n’y a plus d’espérance, c’est que la mort est déjà là.
Nous vivons dans l’avenir parce que nous vivons. Toute vie est comme aimantée, comme attirée par l’avenir. Le passé nous soutient et nous tient en lisière, mais l’avenir nous aspire.
Nous ne sommes que souvenir et nous ne sommes que projet.
Le tout n’a jamais été qu’une immense espérance. Le big bang espère la Terre, et le Soleil, et la Lune. La Terre attend et espère la vie. La vie attend et espère l’homme. L’homme, qui sort du tout, de la Terre, de la vie, attend tout de la vie, de la Terre et du tout. Peut-être est-il permis de soutenir, je ne sais pas, que l’éternité attendait et espérait le temps ? Le temps attend l’éternité.
L’espérance est la plus grande et la plus belle des vertus, plus grande que la foi qui soulève les montagnes, aussi grande que la charité qui donne son sens au tout, parce que c’est elle qui nous rattache à la vie. Elle est la traduction métaphysique et morale de la force qui habite et anime tous les êtres : le désir. Il y a un désir de l’homme de se maintenir dans l’existence et de persévérer dans l’être. Quand ce désir disparaît, et il lui arrive de disparaître, le malheur fond sur nous. Tant qu’il est là, en revanche, nous attendons tout de demain. En dépit des chagrins, des souffrances, des leçons du passé, de la lassitude d’une histoire toujours neuve et toujours semblable à elle-même, nous nous jetons dans l’avenir avec avidité. C’est ce qu’on appelle l’espérance.
La mélancolie suscitée par un présent qui s’effondre sans cesse dans le passé est rachetée par l’impatience et par l’allégresse à voir enfin l’avenir se changer en présent. En dépit de l’angoisse des débuts dans la vie et de leurs soudains désespoirs, cette allégresse, cette impatience sont vraies surtout de la jeunesse qui est le sel de la terre : elle attend tout du monde. Implacable et si beau, le monde n’est fait que de matins et il n’est fait que d’enfants.
La jeunesse, l’impatience, le désir, l’espérance donnent son éclat au tout. Il y a une tristesse déchirante et de la beauté dans les soirs. Il n’y a rien, en vérité, qui ne soit beau dans le tout. Les araignées, les vipères, les méduses, la trahison, le mensonge, l’injustice et le crime ont aussi leur beauté. Lucifer était beau. Et la mort est très belle. Mais rien n’est plus beau que le désir de vie et l’espérance des enfants à qui nous passons un relais qu’ils repasseront à leur tour à ceux qui leur succéderont.
Il y a dans l’espérance comme un reflet de l’éternité. Un reflet ironique. Mais un reflet tout de même. Si l’avenir n’était pas espérance, le monde serait un enfer. Et il s’arrêterait. Mais, cruel, injuste, souvent désespéré, presque toujours déçu, le monde, en dépit de tout, est d’abord espérance. Et il continue.